Histoire de Vendée

Histoire de la Vendée
du Bas Poitou en France

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CHAPITRE XXXIV

Beaux traits d'héroisme républicain

Le camp des Roches-Baritaud. Bataille de Chantonnay gagnée par les Vendéens (5 Septembre 1793), horrible boucherie. - Le bataillon le Vengeur

Inquitudes de la convention. - Decrets exterminateur du 1er aout 1793

Les Mayençais en Vendée

Réunion aux Herbiers des chefs royalistes

Bataille de Torfou-Tiffauges (19 Septembre 1793)

Affaires de Montaigu (21 Septembre) et de Saint-Fulgent (22 Septembre). - Combat homérique

Bataille de Cholet (16 Octobre 1793). - Passage de la Loire (18 Octobre)

Haudaudine le régulus Nantais

Générosité de Bonchamps. - Délivrance de cinq mille prisonniers républicains

 

 

 

BEAUX TRAITS D'HÉROISME RÉPUBLICAIN

 

Malgré ces quelques échecs et le monstrueux décret exterminateur du 1er août, les insurgés avaient encore du courage pour longtemps, et pendant que Tinténiac négocie avec l'Angleterre, les Vendéens reprennent l'offensive, en battant à Erigné et à La Roche-des-Murs (26 juillet 1793) Duhoux et Desclozeâux, qui ne peuvent tenir devant les soldats de Bonchamps et de d'Autichamps.

En cette dernière affaire, dit Pitre-Chevalier, le 6e bataillon de Paris et le 8e, acculés sur le roc, à cents pieds au dessus de la Loire, avec leur commandant en tête s'y ensevelirent avec armes et bagages au cri de Vive la République ! Les Vendéens admiraient un tel héroïsme, lorsqu'ils aperçoivent une jeune et belle femme suspendue au bord de l'abîme avec un enfant dans ses bras. C'était l'épouse du commandant Bourgeois. - « Rendez-vous, lui crie-t-on de toutes parts, il ne vous sera fait aucun mal. Mais elle ne veut pas survivre à son mari (1). Elle répond comme lui : Vive la République ! et se précipite dans le fleuve. Delpeux, caporal du 6e atteint de deux coups de feu et de quatre coups de sabre, s'assied seul devant l'armée vendéenne, et lui envoie ses dernières cartouches en criant : Vive la nation ! (2).

Oui certes, elle devait vivre encore la nation qui comptait des hommes de cette trempe. Ni Robespierre ni Carrier n'étaient faits pour épuiser ce sang généreux.

 

(1) La mémoire de cet évènement célébré par M. Jeanvrot, conseiller à la cour d'appel d'Angers a été consacrée par un monument élevé sur La Roche-de-Mur, au moyen d'une souscription patriotique à laquelle s'est associée la ville de Paris, sur le rapport fait par M. Lamouroux au Conseil général de la Seine en 1891. - Si l'on en croit Chassin, le commandant Bourgeois put traverser le fleuve à la nage, rallier les restes du 8e bataillon, dit des Lombards, au 6e de Paris et se trouver à la réoccupation des Ponts-de-Cé et des buttes d'Erigné par l'adjudant général Talot qu'accompagnait le représentant Philippeaux. La Vendée Patriote. - T. II, page 527.

(2) Les Vendéens respectèrent ce brave qui le lendemain mourait de ses blessures.

 

LE CAMP DES ROCHES - BARITAUD - BATAILLE DE CHANTONNAY GAGNÉE PAR LES VENDÉENS (5 Septembre 1793), HORRIBLE BOUCHERIE. - LE BATAILLON LE VENGEUR

 

En même temps que l'armée républicaine commandée par Canclaux était aux prises avec Charrette, au camp des Naudières, situé à l' embranchement des routes de Montaigu et de Saint- Philbert-de-Bouaine, le camp des Roches avait été attaqué avec une ardeur égale par 25.000 hommes des armées catholiques royales du Centre, de l'Anjou et du Poitou, venant par Saint-Prouant, Monsireigne et La Châtaigneraie, sous les ordres du général en chef d'Elbée. L'aile droite était commandée par Stofflet, et l'aile gauche par Bonchamps. Le général Lecomte, qui commandait en l'absence de Tuncq, avait averti Chalbos, mais ce dernier, retenu à Fontenay avec 3.500 hommes ne put faire aucune diversion.

 

D'Elbé

 

Le 5 septembre 1793, au matin, Lecomte (1) fait une reconnaissance pour s'assurer de la marche et de la force des royalistes.

Rentré à Chantonnay, il envoie les chasseurs de l'Oise et 15 cavaliers à La Réorthe pour maintenir les communications de la grande route ; - pour soutenir le 4e bataillon de la Dordogne qui garde le Pont-Charron, il expédie le 7e bataillon de la formation d'Orléans. Tandis qu'il va du côté de Saint-Vincent-Sterlanges avec 150 cavaliers appuyer le bataillon du Loiret, qui s'y trouve, et faire lever le pont de Gravereau, un adjoint de l'état-major accourt à toute bride lui dire que le bataillon de la Dordogne a abandonné le Pont-Charron sans tirer un coup de fusil dès qu'il a aperçu les rebelles à plus d'une lieue. - Le jeune Marceau, son-adjudant général, se porte au-devant des bataillons de la Dordogne et d'Orléans qui rétrogradent, essaie de les faire tenir sur les hauteurs de la Tabarière et de la Mouhée, qui dominent Chantonnay déjà pris. Puis tournant le bourg près de la Barbotière, court vers deux autres bataillons qui, postés en avant du Puybelliard se débandent. Il s'épuise en vains efforts pour les obliger à tenir ferme derrière les haies et retarder au moins la marche de l'ennemi. Lecomte avec le 10e d'Orléans, « l'Égalité » ; « l'Union » et son ancien bataillon, « le Vengeur » réussit un moment à faire reculer les assaillants, malgré leur nombre sans cesse croissant. Marceau voudrait charger avec la cavalerie massée au centre, mais « elle s'y refuse opiniâtrement par des prétextes aussi coupables que frivoles. » Lecomte lance les 3e et 6e de la Charente-Inférieure, avec lesquels le commandant Sagot parvient à ébranler une seconde fois les colonnes royalistes.

La mêlée devient alors épouvantable : on se bat corps à corps à l'arme blanche. En vain le bataillon « Le Vengeur » dirigé par Monet, et le troisième des Deux-Sèvres, par Prunier, reviennent trois fois à la charge aux cris de « Vive la nation », le bataillon du Calvados placé juste au centre quitte sa place et se met en déroute.

L'ennemi profite de ce vide pour couper en deux les forces républicaines. Il est neuf heures du soir et le combat dure depuis cinq heures. C'est un sauve qui peut général. Les fuyards se répandent dans les bois où ils cherchent leur salut. En vain le général Lecomte, avec deux bataillons de la Charente, une partie de la gendarmerie et des hussards, s'efforce de protéger la retraite, Marceau qui a pu traverser l'ennemi, lui annonce que les troupes du Centre ont disparu et qu'on ne voit plus que des combats singuliers. A la faveur des ténèbres, le général peut se frayer un passage au milieu des brigands, pendant que les débris de son armée fuient à La Rochelle, à Luçon, à La Roche-sur-Yon (2).

Sept mille tués ou blessés sur huit mille hommes, plus de soixante voitures de vivres et de munitions, des canons, de nombreux fusils aux mains des royalistes, tel fut le résultat de ce combat acharné, où presque tous les hommes qui composaient le bataillon « Le Vengeur », moururent au cri de « Vive la République » (3).

Le chevalier de Mondyon, encore enfant, se distingua ce jour par un trait au-dessus de son âge. Il se trouvait près d'un officier de haute taille qui, moins brave que lui, voulait se retirer en disant qu'il était blessé. - « Je ne vois pas cela, lui dit l'enfant, et comme votre retraite découragerait nos gens, si vous faites mine de fuir, je vous brûle la cervelle. » Il était fort capable de le faire : aussi l'officier resta-t-il à son poste (4).

 

 

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(1) Fils du maitre de poste de Fontenay : marin en 1779-1781 ; soldat jusqu'en 1785 ; volontaire au 3e bataillon des Deux-Sèvres qu'il commanda provisoirement ; commande ensuite le bataillon Le Vengeur, se distingue à la bataille de Luçon, le 28 juin, général de brigade ; blessé mortellement à Châtillon, le 11 octobre à l'âge de 29 ans.

(2) Pour plus de détails sur cette sanglante bataille. (Voir Chassin. La préparation de la guerre de Vendée, tome II, page 485). - La Vendée Patriote, tome II, pages 558-59, etc.

(3) Mounet, commandant le Vengeur, pris vivant dans la terrible lutte, fut peu après fusillé à Mortagne-sur-Sèvre malgré la prière de Mme de Sapinaud de la Verrie. Ce bataillon s'était tristement signalé, en ne faisant aucun quartier aux Vendéens.

(4) Mémoires de Mme de La Rochejaquelein.

 

INQUIÉTUDES DE LA CONVENTION.

DÉCRET EXTERMINATEUR DU 1er AOUT 1793

 

A Paris,la Convention s'animait au bruit de ces victoires répétées. Enivrée des bruits de la guerre qui lui arrivaient du Nord, de l'Est et du Midi, ses huits cents représentants frémissaient à la nouvelle de chaque succès des Vendéens, et ne voyaient plus cette insurrection avec froideur et dédain. Les brigands étaient parvenus à se faire redouter de la République et à mériter son indignation. On songea alors, pour faire disparaître le foyer même de l'insurrection, à rayer la Vendée de la carte de France. " La-Vendée est le chancre qui dévore la France, fulmina Barrère à la tribune, il faut la brûler, la détruire ! - La Vendée est le Palatinat de la République ; détruisez la Vendée et vous sauvez la patrie ! C'est dans les plaies gangreneuses que le médecin porte le fer. C'est à Mortagne, à Cholet, à Chemillé que le médecin politique doit employer les mêmes remèdes ! »

Alors le Comité de Salut public porte le 1er août contre la Vendée un décret exterminateur, d'une effrayante énergie « La Vendée sera brûlée, dévastée, dépeuplée (1). - Les fonêts seront abattues, les repaires des brigands seront détruits, les récoltes seront coupées par des compagnies d'ouvriers, les bestiaux seront saisis, et le tout transporté hors du pays   (2) » Pour la défense de sa liberté, le peuple français va se lever tout entier (3).

 

 

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(1) On poussa la, cruauté et le cynisme jusqu'à demander au chimiste Fourcroy, le moyen d'arriver rapidement à un empoisonnement général de la Vendée, et à Angers un fanatique, se disant physicien et alchimiste, présenta aux députés, une boule de cuir remplie d'une composition dont la vapeur, dégagée du feu, devait selon lui, asphyxier tout être vivant, fort loin à la ronde, et on en fit l'expérience dans une prairie.

(2) Ce décret contient 15 articles, relatés dans la Vendée Patriote de Chassin. - T. II, pages 609 et 610. Ce décrût fut suivi d'une proclamation de la Convention, insérée dans le Moniteur du 7 octobre 1793.

(3) La levée en masse fut décidée dans le district des Sables-d'Olonne par arrêté du conseil général, du 8 septembre 1793.

 

LES MAYENÇAIS EN VENDÉE

 

Plusieurs armées avaient déjà été lancées contre la Vendée ; on en prépara une autre, terrible par sa composition autant que par sa renommée. La capitulation de Mayence, après un siège mémorable, rendait à la République une de ses armées qui, pour toute condition, avait juré de laisser s'écouler une année sans servir contre les alliés. On la dirigea immédiatement en poste sur la Vendée, sous la conduite de ce héros épique Kléber, fils d'un ouvrier terrassier de Strasbourg.

On avait vu jadis le Sénat de Rome, pendant que les armées d'Annibal, menaçaient la Ville Éternelle, mettre en vente les terrains qu'occupait le camp carthaginois. Poussée à bout et faisant tête à la fois à ses dangers sans nombre, la Convention fit plus, peut-être ; elle ordonna de vaincre, et fixa à ses généraux le jour de la victoire. Elle adressa à l'armée la proclamation suivante :

« Soldats de la liberté ! Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant le 20 octobre. Le salut de la patrie l'exige, l'impatience du peuple français le commande, votre courage doit l'accomplir ! »

 

 

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RÉUNION AUX HERBIERS DES CHEFS ROYALISTES

 

A cette nouvelle, les chefs royalistes s'assemblent aux Herbiers. lls comptent froidement leurs ennemis et leurs partisans, et ils se réservent le droit de mourir un contre dix. Comme à la veille des grandes journées vendéennes, le tocsin sonne pendant plusieurs jours dans tous les clochers du pays, et bientôt 60.000 hommes se trouvent sous les armes.

« C'est ici l'admirable moment de la Vendée, c'est ici que ses géants se dressent de toute leur hauteur. Voués à l'extermination par leurs ennemis, abandonnés par la monarchie, trahis par l'Europe, les Vendéens jurent tous de vaincre ou de s'ensevelir sous les débris de leurs chaumières. » Ils s'élancent avec Charette, avec Lescure, avec La Rochejaquelein (1), avec Bonchamps, contre la plus admirable armée de l'Europe, composée de 24.000 Mayençais, de 41.000 soldats des côtes de La Rochelle, de 15.000 soldats des côtes de Cherbourg, et de 35.000 soldats des côtes de Brest, sans compter la masse des gardes nationales et des enrôlés volontaires qui avaient répondu à l'appel de la Convention (2).

Arrivée à Nantes depuis dix jours seulement, l'armée de Mayence avait déjà balayé tout le pays entre Nantes, Clisson et la mer. Admirable de tenue et de discipline, remarquable par une sorte de luxe militaire, on la découvrait de loin à ses habits blancs et ses plumets rouges flottants auvent. Enfermée dans Mayence qu'elle avait défendue pendant trois mois contre quatre-vingt mille ennemis, elle s'était comme exaltée de la furie tonnante des canons. Commandée par un grand général, par Kléber, c'était une armée digne d'Homère. Elle dévorait le pays sous ses pas ; sa reputation marchait devant elle : on l'appelait l'invincible (3).

 

Mayençais  

 

 

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(1) La Rochejaquelein reçut à Martigné (10 septembre), une balle qui lui fracassa le pouce de la main droite en trois endroits, et lui fit au coude une forte contusion ; mais cette grave blessure ne l'empêcha pas toute fois de tenir son pistolet à la main. - Néanmoins il ne put assister à la bataille de Torfou (19 septembre). Cinq jours auparavant (14 septembre), Stofflet battu par Tureau, à Doué, recevait à la cuisse la seule blessure qui l'atteignit.

(2) Inutile de dire que toutes ces troupes n'étaient pas concentrées à Torfou. La plupart des historiens, fixent à 40.000 hommes les soldats républicains qui prirent part à la sanglante bataille de Torfou.

(3) La capitulation de Mayence avait eu lieu le 23 juillet 1793. Les Mayençais étaient commandés par Kléber, Aubert, Dubayet, Beaupuy, Haxo, Vimeux, Sainte Suzanne, Jordy, tous généraux de premier ordre. On donnait le nom de Mayençais aux soldats des garnisons de Mayence, de Valenciennes et de Condé.

 

BATAILLE DE TORFOU-TIFFAUGES (19 Septembre 1793)

 

Le 19 septembre, l'armée vendéenne venant de Cholet se rencontre à Torfou face à face avec elle. Marchant au milieu des flammes qui dévorent leurs moissons et leurs chaumières, ils vont, ces paysans en sabots qui font trembler la Convention, se mesurer pour la première fois contre des bataillons réguliers, valeureux et bien armés.

Presque tous les chefs sont là, sains ou blessés : Royrand, Bonchamps, d'Elbée, Lescure, Charette, d'Autichamps, Stofflet.

A minuit, en face des bivouacs ennemis, l'abbé Bernier célèbre la messe à un autel improvisé, et à la lueur des torches, bénit quarante mille hommes à genoux (1).

Le lendemain vers neuf heures, Charette, placé avec sa division en avant-garde du côté de Tiffauges donne le signal de l'attaque. Il s'élance le premier avec ses cavaliers, franchit les haies et les fossés et, se jette tête baissée, suivi de près par son infanterie, sur les premiers bataillons qu'il rencontre, venant du côté de Torfou. Ce sont ceux du Jura et de la Nièvre. Un feu terrible et soutenu des lignes rigides qui s'avancent sur lui d'un pas tranquille et régulier, l'accueille. On était alors à un quart de lieue de Tiffauges, dans une petite plaine. Habitués à se battre dans les chemins ou à travers champs et non à se tenir à découvert, les paysans, en voyant tomber leurs morts par pelotons sur le terrain, perdent la tête et commencent, à se débander. Cependant Charette ne veut pas fuir.

« Camarades, dit-il à ses soldats, c'est ici qu'il faut vaincre ou périr ! » Ils se reforment à la voix de leur chef, et tiennent tête à nouveau contre ces ennemis qui ne reculent d'aucun pas, mais effrayés par le bruit des obus qu'il ne connaissent pas encore et que fait pleuvoir sur eux l'artillerie républicaine, ils lâchent bientôt pied et se sauvent en courant vers Tiffauges, à la débandade, jetant bas leurs armes et poussant des cris d'épouvante...

 

Colonne commémorative de la bataille de Torfou-Tiffauges, élevée vers 1828, par les soins du marquis de la Bretesche.

 

Alors une lutte d'un nouveau genre arrête les fugitifs. En ce moment solennel, les femmes de Tiffauges et d'alentour s'étaient agenouillées dans les rues, priant à haute voix pour leurs époux et pour leurs enfants. A la vue de leurs défenseurs en déroute, elles jettent leurs chapelets, s'arment de fourches, de pierres et de bâtons, et les ramènent de gré ou de force au combat. Elles supplient les braves, elles assomment les lâches, elles relèvent les faibles. A tous, elles montrent l'incendie qui fume au loin et qui va les envelopper de son cercle de feu...

Moitié par honte, moitié par impossibilité de passer par-dessus cette bande de femmes effarées qui, les traits bouleversés, les yeux enflammés les repoussent, ils s'arrêtent hésitants (2). Leurs officiers les rallient, les exhortent : ils tournent face.

Tandis que ce drame plein de sublime tristesse se déroule, Bonchamps, qui n'avait pas couché sur le champ de bataille, paraît à la tête de sa division, le bras en écharpe, porté sur un brancard. En passant, il a vu les soldats de Charette rougir. « Vendéens, s'écrie-t-il, les Bleus vous regardent ! » et il commence aussitôt l'attaque.

A ce moment, l'avant-garde des Mayençais débouchait en effet sur le plateau de Torfou, marchant dans un ordre admirable, précédée d'une compagnie de sapeurs qui lui frayait un passage à coup de haches. A la vue de ces bataillons d'élite, de ces brillants soldats légués à la République par la monarchie expirante, soldats si bien disciplinés et manœuvrant avec tant de précision, un frisson d'admiration parcourt les rangs vendéens.

Arrivés en présence l'une de l'autre, les deux armées s'arrêtent, et comme les gladiateurs antiques, avant d'en venir aux mains, s'observent un instant en silence. Un cercle immense de flammes embrase au loin l'horizon et projette entre elles une lueur effrayante. 80.000 hommes sont rangés en bataille Français contre Français ! Le moment est solennel.

A la voix de leur canon saint : Marie-Jeanne, les Vendéens s'élancent de nouveau au combat. Les femmes qui viennent de ramener au feu les fuyards de Charette abordent le front des Mayençais. L'une d'entre elles, Perrine Loyseau, de la Gaubretière, abat de son sabre trois républicains à ses pieds et a le crâne fendu dans une nouvelle attaque. De part et d'autre le feu de l'artillerie et de la mousqueterie cause sur toute la ligne un carnage horrible (3).

Insensiblement, dans la chaleur de la lutte, les soldats de Kléber et de d'Elbée se sont rapprochés : royalistes et républicains sont sur le point de franchir le petit ravin qui les sépare pour en venir aux mains. L'ordre est alors donné à l'artillerie républicaine de passer le ruisseau qui coule en avant de Torfou, de gravir une petite colline située de l'autre côté, pour ensuite de là foudroyer les Vendéens. Les canons s'engagent dans un petit chemin pierreux, en pente étroite et roide, à la file, et bientôt la première pièce débouche sur le pont pour le franchir.

A cet instant - car dans cette bataille il semble que toutes les actions devaient être extraordinaires - un paysan de Thouarcé saisit l'importance de ce mouvement. Le premier, sans ordre, il s'élance, traverse comme un éclair un peloton de soldats, va droit au conducteur du premier cheval, lui arrache son pistolet, le tue, frappe le cheval qui tombe sur son cavalier et coupe les traits. Le pont est encombré, la marche interrompue, toute la file arrêtée dans le ravin : l'artillerie devient inutile.

 

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Le paysan retourne à son poste après avoir accompli l'œuvre, d'un général et d'un soldat.

De toutes parts, pendant ce temps, on se bat avec un égal acharnement. Tandis que de son brancard, l'intrépide Bonchamps anime ses soldats au combat, Kléber, dont la tête toujours surmontée d'un panache tricolore, plane au-dessus des bataillons comme le drapeau de l'armée, donne les preuves d'un rare courage et prélude par une admirable défense à sa belle victoire d'Héliopolis. Alignés comme à la parade, les Mayençais se présentent en ordre fermement debout. Il faut les rompre et entrer dedans. Impétueux; Charette s'élance au galop avec ses gars ranimé...

Au premier choc Kléber tombe l'épaule fracassée d'un coup de feu. Il se relève et retombe ; ses grenadiers veulent l'entraîner. Kléber refuse et se fait porter de rang en rang pour encourager ses soldats (4).

 

Kleber

 

Cette mâle attitude électrise les Mayençais et leur rend l'énergie qu'un choc aussi violent leur faisait perdre.

Ils resserrent leurs lignes, et s'avançant au pas de charge en colonnes serrées, ils enfoncent à la baïonnette la masse flottante des paysans.

Lescure alors, le brave Lescure, voit que tout est perdu si son aile est dispersée. Emporté par un sublime élan de désespoir, il saute à bas de son cheval, arrache un fusil des mains d'un de ses soldats, et avec cet air de Condé qui entraîne les bataillons et cette inspiration soudaine qui trouve les mots héroïques « Y a-t-il quatre cents hommes de bonne volonté pour mourir avec moi ? » Il s'en présente dix-sept cents. Ce sont les gas des Echaubroignes, des Aubiers et de Courlay, commandés par Bourasseau. « Allez, monsieur le marquis nous vous suivrons où vous voudrez ! » Les soldats s'étaient élevés d'un coup à la hauteur de leur général. Ils se forment en colonne, et au pas de course s'élancent sur les Mayençais en criant : « A mort les Bleus! Pas de quartier ! » Les Mayençais n'avaient pas idée d'une pareille furie de combat : ces cris annonçaient tout l'emportement de l'âme. On ne se bat ainsi que pour des idées et des passions !

Pendant deux heures, ces braves, de concert avec d'Elbée, arrêtent comme un rempart les Mayençais, échangeant des coups de fusil sûrs et bien ajustés contre les feux roulants des républicains ; mais soudain, des cris assourdissants de « Vive le Roi » se font entendre ; à droite, à gauche et derrière les Mayençais, véritable avalanche humaine, une foule énorme déborde et s'éparpille à travers les champs, les chemins et les bois. Ce sont les soldats de Bonchamps qui, selon leur habituelle tactique, se sont égaillés en tous sens et enveloppent d'un, cercle de feu les colonnes républicaines. Bientôt la Vendée entière est au milieu d'eux. On choisit son ennemi et on le vise à bout portant : en quelques instants la mêlée devient horrible.

Dès que les paysans voient l'ennemi ébranlé, ils redoublent de cris, et bientôt leurs belliqueux « Rembarre ! Rembarre ! » dominent le tumulte des arnes. Enivrés par la chaleur de la lutte ils se ruent jusqu'au milieu des rangs, se battant à coups de sabre, de crosse et de baïonnette. Charette reçoit six balles dans ses habits. Bonchamps lui-même, oubliant sa blessure, se fait hisser sur un cheval, et le pistolet au poing, se jette éperdûment dans la mêlée (5).

Malgré des prodiges de valeur les Mayençais chancellent et plient bientôt devant le flot qui les déborde. Quelques-uns même de ces valeureux soldats commencent à fuir ; après une aussi longue et opiniâtre résistance, ils s'épouvantaient de ces hommes qui n'étaient pas des soldats. En vain le conventionnel Merlin (de Thionville) les encourage, avec Kléber, de la parole et de l'exemple. En vain il combat au milieu d'eux à pied et à cheval avec l'énergie d'un simple soldat. Ces guerriers jusque là invincibles sont enfin vaincus. Ils reculent pour la première fois devant le courage vendéen...

Mais Kléber, ce héros dont Napoléon disait plus tard « qu'il grandissait de vingt coudées dans la bataille » est toujours à leur tête... et tandis que son éloquence les soutient, son habileté dispose leur retraite...

Le commencement de la bataille avait montré ce que sont les Français quand on parle à leur honneur ; la fin appartient pour la gloire aux Mayençais dans leur défaite.

Ils reculent, ils reculent au milieu d'un pays inconnu, dans des chemins défoncés, à travers des brandes, des haies et des arbres épars ; à petits pas ils s'éloignent, poursuivis de près, en queue et sur les flancs. Ils reculent et ne fuient pas. De temps en temps ils s'arrêtent, font volte-face et exécutent des feux de file semblables à des roulements de tambour.

Puis ils continuent leur route, impassibles, chargeant et déchargeant leurs armes, emportant au milieu d'eux leur général blessé, perdant des hommes à chaque pas, mais refermant leurs brèches et jamais entamés. Plusieurs de leurs officiers se brûlent la cervelle pour échapper à la honte d'être faits prisonniers ; une femme, qui se trouve avec eux, les imite dans leur désespoir.

Deux lieues se font ainsi, sans relâche et sans quartier. Il avait été décidé, avant la bataille, que les Mayençais seraient considérés comme parjures à la capitulation par eux consentie aux alliés du roi de France, et qu'on tuerait impitoyablement tout ce qui tomberait sous la main.

Poursuivie sans répit et partout débordée, l'armée républicaine n'a, pour s'échapper, qu'une seule issue, le pont du ruisseau de Gétigné, au-dessous de Boussay. Les Vendéens s'avancent ; ils arrivent et vont couper l'armée qui va trouver là son tombeau. Déjà des cris de panique poussés par les soldats de Merlin se font entendre : « Nous sommes coupés ! Nous sommes coupés ! »

Mais de même que Lescure n'avait pas douté de ses Vendéens, Kleber était digne de ses soldats ; il les crut capables de mourir. Il braque deux pièces de canon sur le pont. Il arrête le colonel Chevardin, commandant des chasseurs de Saône-et Loire : « Mets-toi là, lui dit-il, et fais-toi tuer avec ton bataillon !   » Chevardin ne dit qu'un mot : « Oui, mon général ! » Il y mourut.

Le reste de l'armée fut sauvée ! (6).

Ce grand combat avait duré sept heures : de part et d'autre, on n'avait point fait de prisonniers et le massacre avait été horrible. Plus de quatre mille cadavres jonchaient le sol à trois lieues de distance. « Jamais, dit Kleber dans son rapport à la Convention, on ne vit un combat, un acharnement plus terribles ! Les rebelles combattaient comme des tigres, et mes soldats comme des lions ! »

 

 

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(1) Le gros de la division de Charette se tenait du côté de Tiffauges, un peu en arrière du bourg de Torfou, occupé par 300 fantassins et 200 cavaliers, sous les ordres de la Robrie. L'armée de d'Elbée campait aux Quatres-Routes ; celle de Lescure formait l'aile gauche et celle de Bonchamps, l'aile droite. - Royrand était en réserve à Tiffauges. - Mémoires de Kléber.

(2) Parmi ces femmes, une, Jeanne Giraudelle, énergique et courageuse commère qui tenait l'Hôtel de la Croix-d'Or à Montaigu, jetant les yeux du côté du chemin, aperçoit des soldats en déroute et parmi eux le père Oliveau, son mari, que les circonstances avaient forcé de prendre les armes, mais qui, de la tête aux pieds n'avait absolument rien de militaire.

Saisir une trique de bois mort, escalader le talus de la route et tomber à bras raccourci sur son timide époux, tout cela fut l'affaire d'un moment.

-Ah ! lâche ! ah ! gredin ! ah !soldat de deux sous ! va ! criait-elle de toute la force de ses poumons, accompagnant d'un coup vigoureux chacune de ses épithètes flétrissantes, je t'apprendrai moi, à tourner ainsi le dos aux ennemis qui, viennent brûler nos maisons !

La grande taille de la mère Giraudelle, ses yeux qui lançaient des éclairs, ses cheveux noirs qui s'échappaient à flots abondants de sa coiffe, posée de travers, le lieu de la scène, parsemé de rochers sauvages et couvert de grands chênes, les cris lointains des combattants, tout contribuait à donner à cette Vendéenne l'air inspiré de l'antique druidesse gauloise.

Frappés de cette apparition étrange, les fuyards s'arrêtèrent immobiles et stupéfaits. (Les Aventures du Bonhomme Quatorze p. 207. - La Vendée Militaire par Prunier, pages 109-110).

(3) C'est alors que se livra véritablement sur tous les points, ce grand combat dont le théâtre embrasse à droite et à gauche sur plus d'une lieue de front, tout le terrain compris entre les quatre routes, Torfou et Tiffauges. - Une croix élevée à un kilomètre de Torfou, indique le centre de la bataille.

(4) Blessé à 10 heures du matin, il ne se lit panser qu'à 5 heures du soir seulement.

(5) « On eût dit, rapporte Chateaubriand, comme une bataille aux enfers. »

(6) Nulle inscription, nul souvenir ne rappelle le sublime dévouement de ce moderne Léonidas. Et cependant, combien ont été statufiés qui l'ont certes moins mérité ! - Ne pourrait-on pas faire à Chevardin, l'aumône d'un obélisque commémoratif, sur lequel on lirait gravé par exemple, cette simple inscription

LA VENDÉE,
ADMIRANT CE QUI EST GRAND, NOBLE ET GÉNÉREUX
A ÉLEVÉ CE MONUMENT A CHEVARDIN, SON ENNEMI.
PAIX AUX BRAVES.

 

AFFAIRES DE MONTAIGU (21 Septembre) ET DE SAINT-FULGENT (22 Septembre)

COMBAT HOMÉRIQUE

 

Le lendemain, Charette et Lescure couronnent leur victoire en allant surprendre dans Montaigu la colonne du général Beysser. Mal gardée, cette division aurait été anéantie sans l'énergie et les efforts du représentant Cavaignac, qui faillit périr dans la mêlée, et sans la valeur des 79e et 109e régiments qui soutinrent la retraite. Les Vendéens firent un grand carnage dans la ville et passèrent les prisonniers au fil de l'épée. Le. malheureux Beysser, grièvement blessé, navré de douleur, fut suspendu de ses fonctions malgré sa vaillante conduite. Accusé de fédéralisme, il ne paraît plus dans l'histoire que pour monter sur l'échafaud.

Profitant de cet avantage, Charette et Lescure marchent sur Saint-Fulgent ou se trouvait la division du général Mieskowski, forte de 6.000 hommes. Ils l'attaquent à l'improviste, et malgré une défense opiniâtre, la poussent devant eux au milieu de la nuit ; jamais rien de si horrible ne s'était encore vu dans cette épouvantable guerre. Blancs et Bleus, confondus dans l'obscurité de la nuit, puisaient leurs cartouches aux mêmes caissons pour se fusiller à bout portant. Mieskowski et Charette s'entendaient l'un et l'autre, animant leurs soldats à vingt mètres de distance.

A travers les cris des mourants et des blessés, on entendait retentir l'air sinistre du Ça ira, joué par dérision sur un flageolet par un cavalier de la compagnie suisse, nommé Rynks (1). Entre deux couplets, dit Mme de la Rochejaquelein, un boulet emporta la tête de son cheval ; Rynks se releva tranquillement, s'assit sur une borne et continua ainsi son audacieuse ironie jusqu'à la mort du dernier Bleu.

Enfin Charette voulant en. finir, prend un tambour en croupe, lui ordonne de battre la charge, et avec Joly, Savin et trente :soldats, il pénètre dans la longue rue de Saint-Fulgent. Lescure arrive pour l'appuyer et décide de la victoire. Les deux bataillons de la Marne et d'Angoulême sont anéantis. Mieskowski prend la fuite, laissant entre les mains des vainqueurs 22 canons, des munitions en abondance et une grande partie de ses équipages.

Du 18 au 22 septembre, les insurgés venaient de gagner cinq grandes batailles, à Coron, au Pont-Barré, à Torfou, à Montaigu et à Saint-Fulgent. Dans toutes les paroisses de la Vendée, des Te Deum d'actions de grâces furent chantés pour remercier le ciel de cette quintuple victoire. A ce moment, les Vendéens se crurent sauvés. Mais le peuple, que le courage de ses ennemis n'avait pu vaincre, la discorde de ses chefs l'allait perdre.

En laissant ses collègues dans l'isolement et en se séparant d'eux sous prétexte d'un futile mécontentement, pour aller seul combattre dans le Marais, en laissant à la Galissonnière, Bonchamps lutter désavantageusement (22 septembre) contre les debris de l'armée de Mayence, Charette porta un coup irréparable à la Vendée, dont il entraîna la perte ainsi que la sienne.

La crise allait bientôt éclater après les affaires malheureuses de la Chardière, de Saint-Symphorien, du Moulin-aux-Chèvres et de Châtillon. Vaincus à Châtillon par Westermann (9 octobre 1793), les chefs vendéens rassemblés à Beaupréau délibèrent sur le parti qui reste à prendre. Sur les conseils de Bonchamps, il est décidé qu'on passera la Loire pour aller ensuite insurger la Bretagne. Avant de jouer ainsi le sort de la Vendée, il fut décidé que la grande armée tenterait un dernier effort pour conserver Cholet, ce rempart de la Vendée, cerné de toutes parts par Kléber. Avant d'engager le combat, un détachement de 4.000 hommes, commandé par Talmont et d'Autichamps, va s'emparer de Varades et d'Ancenis, afin d'assurer à tout événement le passage du fleuve.

 

 

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(1) Les chroniques de la Gaubretière attribuent ce trait à un nommé Planchot, qui ne cessa de jouer du Çà ira, jusqu'au moment ou il tomba mortellement blessé d'un coup de feu.

 

BATAILLE DE CHOLET (16 Octobre 1793)

PASSAGE DE LA LOIRE (18 Octobre)

 

Enfin, le 16 octobre 1793 se leva sur notre infortuné pays. L'heure décisive allait sonner pour l'armée royaliste. Chefs et soldats se préparèrent à vaincre ou à mourir dans un généreux effort.

Cette bataille de Cholet fut véritablement une lutte de géants. Chacun des deux adversaires savait qu'il allait jouer la partie suprême et Kleber (1), Haxo, Beaupuy et Marceau d'un côté ; de l'autre Bonchamps, d'Elbée, Stofflet et la Rochejaquelein grandirent leur courage jusqu'à l'héroïsme. Jamais Kleber et, ses Mayençais, qui avaient cependant lutté contre les plus braves soldats de l'Europe, n'avaient vu en face d'eux de pareils adversaires. Ce jour-là en effet les hommes du Bocage ne s'égaillèrent pas. Précédé d'un étendard, que l'on avait, dit-on, taillé dans la robe de noce de Mme de Lescure, il marchent pour la première fois en colonnes serrées sur les troupes républicaines, qui reviennent d'incendier en partie Mortagne (2). Intrépides comme toujours dans l'attaque, ils restent stoïquement sous le feu des bleus, qui au nombre de 21.000 couvraient le plateau de La Haie et cernaient la ville de Cholet, depuis la Grange jusqu'à Sainte-Mélaine.

Il était environ une heure lorsque la division de la Rochejaquelein vint dans la lande de la Papinière, se heurter à la brigade de Beaupuy qu'elle culbute. Vainement Beaupuy couvre de mitraille la colonne vendéenne et fait appel à sa réserve : sa réserve est repoussée. Renversé de cheval, il se relève, court à la légion des Francs et ordonne de charger. Les chasseurs chargent, mais criblés de balles ils tournent bride et s'enfuient. - D'Elbée et Bonchamps de leur côté abordent le centre républicain commandé par Marceau, et leur artillerie, crible de projectiles la colonne de Luçon, qui décimée recule. Les Vendéens poussent des cris de triomphe pendant que Marceau anime et retient ses soldats. - Le terrain est des deux côtés disputé avec un égal acharnement. On se fusille à bout portant, on s'égorge à l'arme blanche ; chaque homme frappe et tue devant lui sans voir ce qui se passe ailleurs.

L'arrivée de la division de Chalbos appelée par Kléber, ne peut encore donner l'avantage aux républicains : les nouveaux arrivés, en présence de l'affreux carnage qu'ils ont sous les yeux reculent épouvantés, et malgré des prodiges de valeur de part et d'autres les Vendéens semblaient avoir l'avantage, lorsque l'arrivée du 109e régiment, campé à la Treille jette le désarroi dans la colonne de la Rochejaquelein. - Tout à coup, le bruit se répand qu'une nouvelle armée républicaine se montre sur le derrière des Vendéens, et bientôt on entend une immense clameur de : A la Loire ! à la Loire !

Ce cri trouble et fait hésiter les plus braves, et dans leurs rangs se manifeste une certaine hésitation, dont Beaupuy se hâte de profiter, en chargeant vigoureusement la droite vendéenne, qui malgré les efforts de La Rocbejaquelein, faiblit, recule et se debande. - En ce moment, un messager venait d'annoncer à Bonchamps la prise de Varades. - Consterné par l'échec des soldats de La Rochejaquelein, il veut tenter un suprême effort pour briser la résistance de Marceau avant qu'Haxo ne l'ait secouru. C'est alors que dans un sublime élan d'héroïsme, d'Elbée, La Rochejaquelein, Stofflet, Royrand, Sapinaud et lui, se décident à tenter un dernier effort et à s'ensevelir, s'ils échouent, sous les debris de la Grande Armée. Ils groupent autour d'eux leurs meilleurs officiers, Foret, Renou, Desessart, Cadi, Ville-Baugé, les deux Soyer, etc., les capitaines de paroisse, l'élite de ces vieilles bandes endurcies par six mois d'une guerre sans merci. Formée en masse compacte, cette phalange des braves marche droit à l'ennemi pour le saisir et le terrasser dans un corps à corps désespéré. Elle fusille, elle sabre, elle renverse tout ce qui résiste à ses coups ; elle avance toujours sous les volées formidables de l'artillerie de Marceau, qui les décime autour de la métairie de Bégrolle. Il est six heures du soir et le combat se prolonge dans l'obscurité de la nuit. L'état-major de Kleber perd à lui seul quatorze généraux de brigade. Mais dans cette affreuse mélée, d'Elbée et Bonchamps sont presque en même temps blessés mortellement, comme l'avait été l'avant-veille Lescure à l'affaire de La Tremblaye.

 

La déroute de Cholet. - Vers la Loire (Octobre 1793), D'après un tableau de Girardet. 

 

« Les Vendéens combattaient comme des tigres, écrivait le lendemain Kléber à la Convention, et, nos soldats comme des lions. » Avec d'Elbée et Bonchamps disparaissait la dernière chance de disputer la victoire. - Affolés, les Vendéens se précipitent comme un torrent vers la Loire, en emportant leurs généraux blessés. Ils traversent Beaupréau (3) sans presque s'y arrêter, dévorent cinq lieues de pays, arrivent le 18 octobre au matin sur les rives du fleuve, suivis de plus de soixante-mille paysans de tout âge et de tout sexe, s'y jettent et le passent à Saint-Florent. C'était comme le convoi funèbre de la Vendée, éclairé par les sinistres lueurs que l'incendie de Cholet projetait à l'horizon.

 

 

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(1) Depuis le 30 septembre 1793, Kléber avait été placé sous les ordres de l'incapable Léchelle, ancien maître-d'armes de Saintes, nommé général en chef de l'Ouest.

(2) La veille et l'avant-veille (14 et 15 octobre), les Vendéens avaient subi deux échecs à la Tremblaye et à Saint-Christophe, près Mortagne, qui avait été évacué le 15.

(3) D'Elbée, Bonchamps et de Lescure se rencontrèrent â Beaupréau pour se dire le suprême adieu. Ils unirent leurs dernières forces au courage de la Rochejaquelein et ils sauvèrent les débris de leurs trois armées.

 

HAUDAUDINE LE RÉGULUS NANTAIS

 

Là eut lieu une de ces scènes sublimes, qui au milieu de tant d'horreurs réconcilient avec l'humanité, et font pâlir ces hauts faits de l'antiquité qu'un enseignement traditionnel a légués à notre admiration.

On avait fait de part et d'autre de nombreux prisonniers, et, désireux d'en obtenir l'échange, les Vendéens envoyèrent sur parole à Nantes, pour y traiter de cette affaire, un jeune négociant, nommé Haudaudine, qui jura de venir rapporter, favorable ou non, la réponse des autorités de Nantes. Cinq mille soldats républicains, restés aux mains des insurgés, seront impitoyablement massacrés s'il manque à ses engagements. Jusque-là, le commandant de la place de Cholet, Cesbrons d'Argognes, les prend sous sa sauvegarde ; c'est là qu'Haudaudine, s'il échoue dans sa mission, viendra les rejoindre pour partager le sort commun.

L'humanité seule commandait que l'on prit en sérieuse considération une proposition semblable. Mais il semble qu'à cette époque extraordinaire les hommes fussent de bronze, et que rien d'humain ne battit dans leur poitrine. Amené devant les commissaires du gouvernement, Haudaudine imposa silence à ce sentiment pour ne laisser parler que la voix de la politique. « Les prisonniers royalistes, dit-il, à cause des noms que portent plusieurs d'entre eux, ont pour les Bleus une importance beaucoup plus grande que celle que les prisonniers patriotes peuvent avoir pour les royalistes. D'ailleurs, toute transaction avec les Vendéens serait un acte de faiblesse et doit être écartée. Tant pis pour ceux qui se sont rendus ou laissé prendre ; c'est l'inévitable destinée des batailles de livrer au jeu du hasard la vie des combattants. Si les brigands osent mettre leur menace à exécution, leur cause est déshonorée à jamais, et la République grandie encore par l'abaissement de ses adversaires...

On voulut combattre ces arguments ; mais Haudaudine, à force d'énergie, fit décider le refus de l'échange proposé.

« Maintenant que j'ai réussi, dit-il, je n'ai plus qu'à aller faire connaître votre décision aux chefs des insurgés. »

En vain les prières de sa famille, les instances de ses amis veulent ébranler son inflexible résolution ; en vain les administrateurs du district prétendent le relever de son serment et raillent une pareille loyauté avec les Brigands.

« La morale que vous me prêchez-là, dit-il, n'est point celle que m'enseigne ma conscience. Quel que soit le sort qui m'attende, je retournerai d'où je viens, et je n'autoriserai pas par un manque de foi le massacre de mes compagnons d'armes. »

Et ce disant, il s'arrache à ses parents, à ses amis, à la multitude entière... Comme Régulus, ce généreux romain dont il renouvelle l'exemple, il gagne les portes de la ville, les franchit et galope aussitôt sur la route de Vendée... Il rentre à Montaigu où son héroïsme désarme ses ennemis.

A la suite du refus stoïque des républicains nantais, les Vendéens avaient gardé leurs prisonniers jusqu'au moment du passage de la Loire. Le lendemain de la défaite de Cholet, le général Cesbrons d'Argognes entre à Saint-Florent, conduisant avec la garnison de cette ville les cinq mille captifs républicains qu'Haudaudine a rejoints, et les entasse dans l'église. A leur vue, un long cri de vengeance : « Tuons les Bleus ! » s'échappe du milieu de la multitude exaspérée. Déjà deux pièces de canon sont braquées devant le portail et n'attendent que le signal du massacre pour vomir la mort, que les captifs semblent provoquer en entonnant le glorieux chant des Marseillais. Quelques-uns même, dans la crainte de voir leurs cadavres confondus avec ceux des royalistes, gravent dans leur chair avec un canif le mot magique de liberté.

 

 

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GÉNÉROSITÉ DE BONCHAMPS

DÉLIVRANCE DE CINQ MILLE PRISONNIERS RÉPUBLICAINS

 

Mais il y a au camp des royalistes un homme qui va mourir, un héros, lui aussi, Bonchamps, qui comprend tout ce qu'il y a de grandiose dans le respect de Haudaudine pour la parole jurée, tout ce qu'il y a de hideux dans cette immense tuerie qui s'apprête. Il se relève sur le brancard où on le transporte évanoui, et ranimant  une dernière fois ses forces défaillantes : « Mon ami, dit-il à d'Autichamps, qui tout en pleurs se tient à ses côtés, les Vendéens m'ont toujours obéi... Portez leur mon commandement suprême : grâce aux prisonniers !... Que je ne meure pas sans être assuré de leur vie ! ».

 

Bonchamps

 

D'Autichamps s'élance.... Un roulement de tambour annonce une proclamation.... Au nom de Bonchamps, à ce nom si révéré, le calme renaît ; le recueillement succède à la fureur ; des larmes s'échappent de tous les yeux. Les canons déjà braqués sur l'église sont détournés, en même temps qu'un cri universel de : Grâce ! Grâce ! Sauvons les prisonniers ; Bonchamps le veut, Bonchamps l'ordonne ! retentit. par toute la ville.

Les prisonniers sont rendus à la liberté, et Bonchamps expire bientôt sur l'autre rive du fleuve, dans une chaumière de la Meilleraye, en prononçant ces dernières paroles : « J'ai su pardonner ! » Mot bien digne du héros chrétien, du guerrier philosophe, du premier général de l'armée vendéenne, qui avait dit en commençant cette lutte fatale : « La guerre civile ne donne point la gloire, » et dont le dernier soupir devait être la plus belle action de sa vie (1). Le général vendéen fut enterré pendant la nuit, à la hâte, dans le cimetière de Varades, au milieu des sanglots de ses amis, et au bruit lugubre, immense et lamentable des 100.000 fugitifs qui traversaient la Loire (18 octobre 1793).

 

Le passage de la Loire

 

Les descendants de Bonchamps dont la statue scupltée en 1822 par David d'Angers, se voit encore dans le chœur de l'église de Saint-Florent-le-Viel, se sont montrés dignes de leur glorieux ancêtre. Le soir de la bataile de Patay (2 décembre 1870), son petit fils le marquis de Bouillé, le fils, de ce dernier Jacques, son gendre, Cazenoves de Pradines, nouvellement marié, se conduisirent eux aussi en véritables héros. Le soir, le père et le fils tombaient mortellement atteints sur, le plateau de Villepion par des balles prussiennes : le gendre, mort sénateur de la Loire-Inférieure, il y a peu de temps, avait l'épaule droite fracassée d'un éclat d'obus. Honneur aux braves !

 

 

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(1) Le 21 juillet 1817, Haudaudine, Pelloutier, Paimparay, Maucomblé et Marion, notables hahitants de Nantes qui s'étaient rencontrés au nombre des prisonniers de St-Florent, publièrent un certificat attestant les circonstances de leur délivrance et les motifs de leur éternelle gratitude (Pitre-Chevalier, p. 452).

 

 

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